GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

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Bélarus : la mobilisation se poursuit

Plus de 100 jours après l’élection présidentielle truquée du 9 août 2020 qui a vu la réélection du dictateur Loukachenko, la mobilisation des femmes et des hommes du Bélarus se poursuit. Les 22  et 29 novembre derniers encore, des dizaines de milliers de Bélarusses ont de nouveau manifesté pour exiger le départ du dictateur, l’arrêt de la répression policière et la libération des prisonniers politiques. Nous avons rencontré Alice Syrakvash, une des représentantes de l’opposition bélarusse en France, co-présidente de l’association “Communauté des Bélarusses à Paris”, membre de Conseil des représentants de la diaspora mondiale des Bélarusses “Belarusians Abroad”, pour faire avec elle le point sur la situation dans son pays.

Peux-tu en quelques mots, nous rappeler la genèse et les raisons de la mobilisation en cours ?

Les premières protestations ont eu lieu cette été, avant les élections, au moment de l'arrestation de Victor Babariko, ancien candidat à la présidentielle. Tout le monde a compris, que bien avant les élections, Loukachenko était en train d'éliminer ses concurrents, les personnes qui étaient populaires et avaient la confiance du peuple. Cette injustice a provoqué une grande indignation, car il est clairement apparu que Loukachenko n'a pas prévu de jouer un franc jeu. Au final, la seule personne qui a été enregistrée en tant que candidate, c'était Svetlana Tikhanovskaïa, une femme au foyer, enseignante d'anglais, qui s'est porté candidate à la place de son mari, mis en prison au début de la campagne électorale. Les Belarusses se sont facilement rassemblés autour d'elle, car elle a déclaré dans son programme 3 points très simples, mais partagé par tous :

-Libération des prisonniers politiques

-Changement de la constitution pour celle de 1994 (plus parlementaire, ou le président a moins de pouvoir)

-Organisation de nouvelles élections libres dans les 6 mois.

Vous savez sans doute que les élections ont été falsifiées, de nombreuses preuves de cela ont été rassemblées, et depuis le peuple bélarusse manifeste chaque semaine pour contester ces résultats, mais aussi pour dénoncer la répression et les violences du régime de Loukachenko.

Vous exigez l’arrêt de la répression et la libération des prisonniers, qu’en est-il exactement des violences policières et des arrestations ?

À chaque manifestation il y a des centaines d'arrestations arbitraires, dimanche 15 novembre il y a eu près de 1500 personnes arrêtées. Tout peut être un prétexte pour l'arrestation : le drapeau blanc-rouge-blanc (drapeau historique du Bélarus), les vêtements dans les même couleurs, les pancartes, la présence dans le lieu proche de la manifestation, etc. Quant aux violences policières, ils s'opèrent à deux échelles : lors de la dispersion de la manifestation, ainsi que lors de l'arrestation, et, en second lieu, dans les prisons, pendant les gardes à vue.

Les premiers comprennent les balles en caoutchouc, tirées à la distance qui représentent un danger pour la vie humaine, ou peuvent mutiler (deux personnes ont perdu leurs vies suites aux blessures par balles en caoutchouc); les grenades éclair, qui sont lancées dans la foule et ont déjà mutilé plusieurs manifestants; la violence physique des policiers, qui peuvent battre les manifestants jusqu'à ce qu'ils perdent la connaissance ou leur vie.

 Les deuxièmes types de violence se passent en prison. Les premiers jours après les élections ont été les plus marqués par la violence policière dans les manifestations et dans les prisons. On parle des réels cas de torture : les coups de matraque qui font que le corps devient un bleu, les matraques enfoncés dans la gorge et dans les parties génitales, les viols, la torture par le froid et la faim, les humiliations, les nuits passées à genoux à recevoir les coups des gardiens ; les nuits passées dans la cour de prison, mains en l'air contre le mur, sous les coups de matraques de gardiens.

Tout le monde a remarqué le rôle prépondérant joué par les femmes dans cette bataille pour le départ du dictateur. Peux-tu développer sur ce point ?

C'est en effet la première fois dans l'histoire du Bélarus que les femmes se retrouvent au premier rang, dans les rôles principaux, et sont autant soutenues par le peuple. Cela a contribué à ce que dans les manifestations aussi, les femmes prennent leur place, y joue un rôle important, retrouvent l'égalité avec les hommes. Bien que c'est une situation de crise, et que ce n'est pas du tout acté que les femmes vont gagner en droits dans la société Bélarusse, qui a un long passé patriarcal, mais je reste persuadée que les événements de cet été ont enclenché le processus de démocratisation et des avancées féministes qui resteront. L’organisation de transition de pouvoir, appelé le Conseil de Coordination, qui regroupe les representants de tout les milieux sociux, comprend en son sein une branche féministe, ou les participant-e-s se penchent sur les problèmes d’inegalités, de sexismes, et de violences conjugales au Bélarus.

Vu de France, le mouvement semble un peu marquer le pas. Peux-tu nous dire où en est la mobilisation (grèves, manifestations, rôle des syndicats, etc.)

Suite aux violences policières et à la répression, la manifestation du 15 novembre a été, probablement, moins massive que les dimanches précédents. La stratégie c'était se réunir dans un lieu pour faire la manifestation, sauf que cela a été empêché par les forces armées de Loukachenko, qui ont fait acte de fortes violences.  La colonne principale de la manifestation n'a pas pu se former, et c'est difficile à dire combien de personnes sont sorties le 15/11, mais c'est sûr que cela n'a pas fait une "belle image" de la grande foule pour les journalistes. Les dimanches suivants, le 22 et 29 novembre les manifestants ont changé de techniques : ils se sont rassemblés dans leurs quartiers, et cela a permis de réduire drastiquement les violences policières et les arrestations : dispersion des forces de police, manque de moyens techniques pour envoyer un canon à eau dans chaque quartier, exposition aux yeux de tous les habitants lors de l'usage de la force. Mais le point principal, c'est le nombre insuffisant des policiers. Il n'y en avait pas assez pour tous les quartiers ! Mais encore une fois, cela n'a peut-être pas fait une "belle image" de la foule pour diffuser dans les journaux télévisés, même s' il y a eu tous les quartiers de Minsk remplis par les manifestants ! N'empêche que dans le JT d’Arte il y a eu un reportage sur la manifestation du 29 novembre et sur la nouvelle tactique des manifestants !

Les grèves au Bélarus continuent. La grève est nationale, mais pas générale. À cela il y a beaucoup de raisons, principalement sociétales et historiques : le peuple qui a un passé totalitaire de 76 ans n'en sort pas aussi facilement, et n’a pas forcément une culture de la grève, ni la structure pour la maintenir. Les syndicats officiels ne sont pas du côté des travailleurs, et les syndicats indépendants sont persécutés à leur tour.

Et le dernier point : ce n'est pas parce que la presse en parle moins, que le mouvement s'est étouffé !!

Il semblerait que le Kremlin soit inquiet et suit de près l’évolution de la situation, peux-tu nous éclairer sur le rôle joué par Poutine ? 

Malheureusement, je ne suis pas assez informée pour répondre à cette question. Mon impression est que pour la Russie notre pays reste un point stratégique, comme l'était l'Ukraine, avec des enjeux différents, mais tout aussi importants. Et je crois que depuis tant d'années de collaboration étroite avec la Russie, Loukachenko a pris tellement de crédits non-remboursables, que ça en devient effrayant. Avant les élections il y a eu un plan exact de processus d'intégration du Bélarus en Russie, heureusement la crise politique a freiné l'affaire.

Peux-tu nous parler de l’activité de l’opposition bélarusse aujourd’hui en France et de la façon dont le mouvement ouvrier français et la gauche en général peuvent apporter concrètement leur soutien au mouvement anti-Loukatchenko ?

La diaspora des Belarusses pro-démocratiques s'est formée à nouveau cet été, suite aux événements qui ont secoué notre patrie. Nous avons fait environ une vingtaine de rassemblements, rencontré des personnalités politiques, écrit des pétitions et des lettres ouvertes ; nous avons participé, avec la diaspora belarusse mondiale, les sondages à la sortie des urnes, qui ont permis, notamment, à constater qu'il y a eu des fraudes dans le point de vote, installé dans l'ambassade du Bélarus en France. Depuis cet été, nous avons enregistré des associations des Bélarusses dans quelques grandes villes en France (Paris, Bordeaux, Strasbourg), avons mis en place un site avec une newsletter bi-hebdomadaire sur la situation au Bélarus, organisé une aide humanitaire aux réfugiés Bélarusses en Pologne, les groupes de travail sur plusieurs sujets importants, et organisons une exposition d’art protestataire du Bélarus.

En ce qui concerne la gauche française, le Parti Socialiste, nous a beaucoup soutenu dès le début, et nous en sommes très reconnaissants ! Frédéric Petit, le député de l’Assemblée Nationale et membre de MoDem, il était une des premières personnalités politiques françaises à parler du Bélarus, à tirer la sonnette d’alarme et alerter le public français sur la crise au Bélarus. Quant aux syndicats, nous avons contacté le chargé de la communication de la CFDT pour le soutien des ouvriers en grève au Bélarus, et lui avons adressé une lettre avec les information sur la grève au Bélarus et le traitement que les force de l’ordre font subir aux grévistes, mais nous n'avons jamais reçu de réponse de leur part.

Nous sommes tout particulièrement reconnaissant à la Gauche Démocratique et sociale, ainsi qu’à la revue “Démocratie & Socialisme” pour l'intérêt que vous portez à la situation au Bélarus, et votre soutien du peuple bélarusse qui se bat pour la démocratie !

Notre plus grande action aura lieu en décembre, car en accord avec les dernières annonces du gouvernement français, nous sommes heureux de maintenir notre exposition d'art contestataire au 59 Rivoli du 15 au 28 décembre à Paris ! Nous avons eu des mécènes pour le coût d'impression des œuvres qui nous ont été envoyées en format virtuel, mais il reste une partie d'œuvres qu'on espère pouvoir faire venir physiquement, car ce sont des pièces uniques. Nous collectons des dons pour pouvoir finaliser notre exposition, vous pouvez le faire via une collecte de fonds pour les initiatives citoyennes

Plus d’information sur l’exposition sur la page de l'événement facebook 

Propos recueillis par Christian Gourdet

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