Banlieues: novembre 2005, et après?
Les émeutes urbaines de Novembre 2005 n'ont
pas fini de nous interroger. Avec du recul, un facteur
de crise apparaît clairement: les habitants
des quartiers populaires souffrent aussi d'un
manque de parole et d'écoute, ce qui est une
source supplémentaire d'exclusion. Et plus les politiques
s'adressent à eux pour expliquer les merveilleux
projets qu'on leur a préparé pour améliorer
leur cadre de vie et leur vie quotidienne, et
plus ils croient que rien ne va changer.
Il se trouve que, depuis les événements, on assisteà un foisonnement d'initiatives: d'un côté, dans
les quartiers, des organisations spontanées de prise
de parole se concrétisent, notamment par l'intermédiaires
de « blogs » collectifs, et des associations
en sommeil et désabusées tendent à se réveiller.
De l'autre, dans l'esprit des Forums sociaux
mondiaux, les politiques facilitent de
grandes manifestations destinées à redynamiser
l'action de terrain mise à mal par la politique de
démolition du gouvernement au détriment de l'action
sociale de terrain.
Ce qui suit est issu notamment de ma participation
à deux de ces manifestations, à savoir le Forum
des Autorités Locales de Périphérie (Falp), prémices
d'un Forum mondial des Banlieues, organisé
principalement par la Ville de Nanterre et la
Rencontre Nationale des Femmes des Quartiers
(«Quand les femmes s'engagent») organisé par le
Gouvernement. Mais, parmi les nombreux blogs
existants, j'ai utilisé la matière d'un des plus actifs,
à savoir «www.ma6tvachanger.fr» parti à l'origine
d'une cité de Thiais (94), et qui se veut un journal
hebdomadaire sur le Web.
Paroles de désespoir
«Faut voir qu'on est une génération de sacrifiés ;
on est les premières victimes de tous les problèmes
de société et c'est nous qui payons l'addition à
chaque fois. Je dis que la banlieue a brûlé et qu'ils
s'en foutent. Oui, les gouvernements, ils te disent
qu'il n'y aqiue la démocratie qui compte et, en attendant,
nous les jeunes, la démocratie, quand on
parle, personne ne nous écoute. Alors moi, je ne
vois pas où sont les solutions. L'avenir pour nous,
je ne le vois pas, le ghetto va durer, c'est sûr, et le
chômage, encore pire, surtout quand t'es beur ou
black. On va peut être voter, mais on ne sait même
pas pour qui car c'est tous des menteurs.»
Farid,Vitry sur Seine
«On se revendique pleinement comme femmes des
quartiers, parce que nous, on vit la précarité les
discriminations raciales et sexistes, l'absence de
mobilité. On est scotché, et on ne peut compter
que sur nous pour s'en sortir.»
Une responsable associative animant un restaurant
de quartier.
«Concernant le CPE, je dis que la grève est le seul
moyen de protester. Et ça dégénère quand le gouvernement
s'en fout et n'entend pas la rue. Personnellement,
j'habite en banlieue, à Orly, dans
une cité, et le CPE, ce n'est pas ça le problème, on
est déjà dans la merde sur tous les points. Dans la
cité, tu peux inviter personne, tellement c'est
pourri, et le boulot, faut déjà qu'on se fasse embaucher.
Alors, moi, entre les CDD que t'arrives
pas à avoir et le CPE, je sais pas où est la différence,
tu te fais virer quand même quand le patron
a plus besoin de toi.»
Yacine. OrlyParoles d'espoir ou de combat
«En Novembre 2005, au tout début des émeutes
nous avons réfléchi à ce que nous pouvions faire.
Nous nous sommes sentis solidaires des revoltés et
triste de voir des modes d'actions passés seulement
par le feu et la confrontation policière. Nous
avons ainsi lancé un appel à l'organisation d'un
forum social des banlieues national ou une myriade
de FS locaux dans les quartiers populaires.
Travailler à l'émergence d'une réflexion collective
sur ce que nous pouvons faire maintenant,
c'est poser notre pierre à l'édifice. C'est ce que
nous tentons de faire. Les contributions qui ont
suivi l'appel, nous ont permis de prendre
conscience que si l'émergence de forums sociaux
en banlieues n'a pas émergé spontanément c'est
qu'un énorme travail est à réaliser, notamment sur
la redynamisation du lien social, et la réappropriation
du pouvoir d'agir des habitants sur leur
environnement. Aujourd'hui, nous espérons que la
terre brûlée puisse devenir une terre d'avenir. Artistes
du mouvement hiphop pour certains et activistes
du mouvement social, nous sommes persuadés
que les zones périphériques ont une richesse
humaine et culturelle énorme, encore suffit-il de
regarder au bon endroit.»
La Rage du peuple,mouvement marseillais
«Les politiques nous ont rejetés dans l'associatif,
mais on ne se laissera pas faire ; il faut passer le
cap associatif et s'engager politiquement ; c'est
l'associatif qui va pousser le politique.»
Cercle de réflexion citoyen de Saint Denis
Un certain bouillonement
La seule chose qui unit la plupart de ces expressions,
c'est le rejet du politique: « Ils ne nous ont
pas compris, ils ne peuvent rien pour nous, etc.»
Toute tentative de récupération est très mal vécue.
Et, si, en général, on respecte le Maire, c'est parce
que, malgré tout, c'est le représentant le plus
proche de l'autorité républicaine. Il y a une forte
résistance exprimée envers tous ceux, et notamment
vis-à-vis des élus ou des responsables associatifs
à caractère communautaire, qui essaient de
faire passer le message : «Ne parlons plus des
banlieues et des quartiers, parlons des discriminations,
du chômage, de l'éducation,... »
Dans lagrande majorité des cas, ce message ne passe pas,
et la réponse est : «Oui, mais nous, on a moins de
chance que d'autres de s'en sortir.»
Et, en même temps, le souhait de reconnaissance,
de se retrouver dans la société française «normale» fait qu'on recherche l'échange avec les autorités,
et pas seulement parce qu'il faut en passer
par là pour avoir des subventions; chez les responsables
les plus engagés dans l'action citoyenne,
la tentation du politique est forte. Dans
les coulisses de ces manifestations, un débat rémanent
était : faut il monter des listes représentatives
des banlieues aux prochaines municipales?
On sent un immense besoin de reconnaissance,
mais dans la dignité et la justice, et surtout, sans
compassion.
Quant aux positionnements vis-à-vis des familles
politiques traditionnelles, si les études montrent
que les quartiers populaires penchant légèrement à
gauche, les paroles montrent que le spectre des
opinions est aussi large que celui de la société
française toute entière.
En tout cas, l'immense changement depuis les
événements de Novembre, c'est que le silence
commence à se rompre: On veut s'exprimer, on
veut s'engager, même si ce n'est pas exactement
de la façon que les autres voudraient nous voir
adopter. Et notons que, si cela se produit, c'est
parce que la violence a créé de l'écoute, la où elle
n'existait pas.
Quel pourrait-être l'attitude du PS?
D'abord, et c'est une évidence, ce sont les élus locaux
qui se trouvent en première ligne ; ils doivent
abandonner les ersatzs de concertations communicantes
sur les projets ; elles n'ont aucun impact. Ils
se doivent, en particulier dans les opérations de rénovation
urbaine, de faire des habitants de vrais
acteurs, c'est-à-dire leur donner du pouvoir d'expertise
interne et externe, leur conférer une capacité
d'initiative et discuter des options prises en
les laissant ouvertes. Une opération particulièrement
réussie par un élu socialiste aura, grâce à Internet,
une notoriété certaine.
Le problème n°1, c'est quand même l'emploi, et
notamment, l'emploi des jeunes, dans un contexte
de discrimination. Or, le PS n'est pas au pouvoir,
mais dans les nombreux cas où les collectivités
territoriales ont mis en place des formules d'emplois
aidés du type « emplois tremplins », il faut
les populariser, mais surtout dire qu'on est
conscient que cela facilite l'accès à l'emploi et que
cela évite la galère, mais que la question du « vrai
emploi » correspondant aux aptitudes et aux souhaits
reste posée. D'autre part, il faut faire
connaître ce qui existe, avec un langage qui ne soit
pas un langage standard de guichet administratif,
en essayant de traiter les problèmes de manière
humaine et personnalisée. Certaines administrations
sont prêtes à faire des efforts dans en ce sens
; il faut en profiter. Et ainsi de suite. On pourrait
aussi évoquer de la même façon la souffrance sociale
des mères célibataires ou des vieux sans familles,
souffrance qu'il faut soulager. Le politique
ne peut pas se contenter de mettre en place des dispositifs
d'appui ; il doit s'y impliquer.
Enfin, on peut, on doit parler politique, la politique
intéresse ; mais il faut trouver le ton et les
bonnes tribunes. Traitons de la politique en évitant
le jeu communautariste ou sexiste, mais en
prenant en compte les modes d'expression spécifiques
tels qu'ils existent, et surtout pas pour
convaincre et pour tenir un discours partisan « tout
fait », mais en écoutant et en échangeant avec des
citoyens à part entière de notre République.
Est-ce trop demander que de changer d'attitude?
C'est vrai que c'est plus facile quand certains militants
ou élus sont issus des quartiers populaires.
Si nous faisons cela, le reste, c'est-à-dire le projet,
le programme national et municipal, viendra simplement,
tout seul et sonnera juste.
Robert Spizzichino