Après une expérience riche et douleureuse, repartir d'un bon pied
Les deux derniers mois de l'année
2006 auront été vécus douloureusement
par des couches assez importantes
de militants. L'investiture
de Ségolène Royal par le Ps,
malgré tout ce qui avait pu être
constaté et dit sur son orientation
droitière, se voulant au dessus des
classes et des partis, aggravée encore
par le fait que Dsk est arrivé
en deuxième place, fut un premier
coup.
Elle fut suivie de manière prévisible
par le conflit entre le Pcf et
les collectifs antilibéraux issus de
la campagne du Non de gauche au
référendum de 2005 et l'absence,
de ce côté-là, de candidature unitaire.
A ce sujet il faut noter comme un faitpolitique important la "rumeur" qui
se produisit alors à propos d'une
candidature de J.L. Mélenchon. Sans
possibilité réelle de se concrétiser,
elle attestait cependant d'une réalité
politique : une candidature socialiste
authentique aurait eu, dans ces présidentielles,
aprés la victoire du Non
et le mouvement contre le Cpe, la
capacité de gagner - au premier et au
second tour. L'intéressé se trouvait
au centre de cette "rumeur" un peu
par défaut, car sa propre orientation
combinant participation à la synthèse
du congrés du Mans dans le
Ps, et alliance avec le Pcf à l'extérieur
du Ps, ne le plaçait pas dans la
capacité réelle de jouer un tel rôle,
mais ceci interpelle en fait tous les
courants de la gauche du Ps, à commencer
par Fm-D&s, sur notre bilan
des deux dernières années.
L'ironie envers ceux qui, après avoir
dit pis que pendre de Ségolène
Royal, se retrouvent au final en position
de voter pour elle et cela dés le
premier tour, n'est pas de mise, car
ils représentent un espoir déçu qui a
été largement ressenti et partagé
dans de nombreuses couches militantes,
et qui reste porteur d'avenir -
un désir d'avenir tout ce qu'il y a de
plus authentique, en fait !
Battre la droite, sans illusions
Cependant, il ne faut pas confondre
l'état-d'esprit de couches militantes
aussi larges et importantes soit-elles,
et l'état-d'esprit des "masses" plus
larges encore du peuple de gauche,
du salariat, de la classe ouvrière, de
la jeunesse, dans ce pays. Celles-ci
n'ont pas à la bouche le goût de la
défaite qui a plus ou moins troublé
nos milieux militants ces dernières
semaines. Elles veulent battre la
droite, chasser Chirac et barrer la
route à Sarkozy. D'autre part elles ne
sont absolument pas séduites par la
rhétorique et l'imagerie de la campagne
officielle de Ségolène Royal,
et à cet égard le mouvement d'opinion
que l'on connaît dans le Parti
socialiste n'existe pas dans la population.
Mais elles se dirigent avec
une relative sérénité vers le fait de
voter pour elle contre la droite. Cela
sans illusions : la différence entre
cette candidature soutenue par le Ps
et les campagnes précédentes est intégrée
dans la manière dont beaucoup
de travailleurs la saisissent, en
ne se disposant pas pour faire pression
sur elle, en améliorer le
contenu, mais simplement l'utiliser
contre Sarkozy, Le Pen et Bayrou et
en même temps la combattre d'ores
et déjà sur ses intentions politiques,
économiques et sociales.
C'est dans le cas des profs du second
degré (lycées et collèges) que cet
état-d'esprit est le plus évident. En
effet, ils sont confrontés à une attaque
frontale contre leurs statuts de
la part du ministre De Robien, qui
fait suite aux déclarations, trés vivement
ressenties et commentées dans
ce milieu, de S. Royal sur la carte
scolaire et les "35 h pour les profs".
L'unité syndicale ayant été réalisée,
la grève du 18 décembre a été une
réussite, et la manifestation de la Fsu
du 20 janvier s'annonce, pour le
moins, significative. (cf. p.14) Le
sentiment justifié est donc qu'il faut
se mobiliser sans attendre, battre la
droite aux présidentielles - et aux législatives,
ne les oublions pas - et
s'opposer d'ores et déjà, sur le terrain,
aux orientations que S. Royal a
annoncées (et qui sont en fait similaires
à ce que fait De Robien).
Sous d'autres formes, de telles dispositions
se retrouvent dans d'autres
secteurs.
Ainsi le jeudi 11 janvier, les salariés
de l'usine General Motors de Strasbourg
se sont mis en grève illimitée,
spontanément, les trois sections syndicales
suivant le mouvement, en rejetant
la proposition patronale de lier
les hausses de salaires (faibles) à
l'annualisation des jours de Rtt et en
lui opposant la revendication d'une
hausse de 100 euros nets pour tous.
Le débrayage est parti des ateliers et
s'est transformé en vote pour la
grève illimitée dans l'aprés-midi.
Nombreux sont les mouvements
pour les salaires : il est clair que la
perspective proche des échéances
électorales n'est pas perçue comme
devant justifier une attitude attentiste.
En matière de revendications
salariales, ceci prend la forme d'un
espoir ; mais devant les plans de licenciements,
c'est au contraire le
désespoir, conjugué au sentiment
que le résultat de ces échéances ne
comporte pas de solution.
L'irruption de la question du logement,
comme question urgente ne
souffrant pas d'attente, est un autre
signal important.
Et la gauche socialiste ?
Dans ces conditions que doivent
faire des militants socialistes de
gauche (c'est-à-dire socialiste, réellement
socialistes, tout court ! ) ?
Tout en prenant en compte les débats
qui traversent ces couches politisées
et militantes dont nous sommes, il
est clair qu'il faut partir du mouvement
réel de la classe salariale
comme telle, dans son ensemble. La
volonté de rupture avec les racines
du socialisme, que nous avons diagnostiquée
et dénoncée dans les
orientations de Ségolène Royal, est
un danger intact qu'il ne faut surtout
pas sous-estimer.
Mais le sort du Parti socialiste n'est
pas tranché automatiquement par le
vote très droitier de ses adhérents
anciens et récents du 16 novembre
dernier. Il ne l'est pas parce que ces
choses-là se règlent non dans les
couloirs de Solférino, mais sur
l'arène des rapports de force sociaux,
et que là le vote Ps, aux présidentielles
et aux législatives qui les suivent,
est saisi, sans illusions en ce
qui concerne les présidentielles,
comme le moyen de battre la droite.
Mais cela ne nous oblige nullement
à "faire campagne" pour ses positions
politiques. Ce mouvement est
engagé, il ne changerait que si des
faits nouveaux intervenaient d'ici
avril (ce qui n'est pas à exclure totalement),
cela indépendamment de
notre volonté.
Il n'y a donc pas de raison, ni pour
s'aligner et s'intégrer à cette campagne
officielle et minimiser le fossé
qui la sépare du socialisme, d'une
part, ni de quitter ou de se positionner
de fait en dehors du Ps d'autre
part.
Pour un gouvernement qui représente
réellement la majorité sociale
de gauche de ce pays
Notre tache principale me semble t'il
est de donner une perspective, un
vrai "désir d'avenir", mais oui :
battre la droite aux présidentielles,
imposer une majorité de gauche à
l'Assemblée nationale qui légifère
immédiatement pour abroger les lois
de la droite (les diverses lois Fillon
et Sarkozy, la décentralisation, un
collectif budgétaire ...) et prendre
des mesures d'urgence (par exemple
sur le logement : la réquisition de logements
vides et le blocage des
loyers) et pour un gouvernement qui
représente réellement la majorité sociale
de gauche de ce pays. Ne nous
y trompons pas : ce désir et cette
perspective d'avenir pour l'immédiat
s'opposent en réalité frontalement au
projet politique de restauration de la
V° République par la "démocratie
participative" qui sous-tend la promotion
de S. Royal. Le combat réel
contre ce projet ne peut donc pas exclure
le vote en sa faveur et la volonté
de l'élire contre Sarkozy, mais
il peut et doit regrouper des militants
ayant diverses intentions de vote au
premier tour, à gauche.
Pour ce faire, le courant Fm-D&S a
deux atouts. Il est issu de la convergence
de forces socialistes qui ont
assuré la victoire du Non au référendum
de 2005, et il connait depuis
deux mois un débat sans doute douloureux,
mais riche d'une diversité
qui peut se faire rassembleuse.
Vincent Présumey