GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

Le social au cœur Actions & Campagnes politiques

Appel du Bureau National d'Attac France

Fondée il y a cinq ans, Attac avait dénoncé dès cette époque les menaces qui pesaient sur les retraites et la volonté des forces de la mondialisation libérale, entraînées par la Banque mondiale, d'implanter les fonds de pension. L'analyse d'Attac, alors que " l'exubérance boursière " faisait rage, avait suscité du scepticisme ou même le mépris chez certain. Aujourd'hui nous y sommes : les fonds de pension, après " l'affaire Enron " et l'écroulement des Bourses, ont ruiné des millions de salariés et retraités américains et britanniques. Les luttes sociales en cours en Europe (notamment en France et en Autriche), pour une réforme solidaire des retraites, valident entièrement nos analyses et propositions et nous confortent dans notre action.

La France, peut-être, va dans les jours qui viennent, connaître une secousse sismique susceptible de provoquer de profonds changements.

Association d'éducation populaire tournée vers l'action, Attac contribue aux luttes sociales qui se développent dans le secteur public et privé pour la défense des retraites, et, dans l'Education nationale, contre sa privatisation rampante qui vient d'être enclenchée (hypocritement appelée " décentralisation " par le gouvernement).

Les conditions de la retraite et la réussite des enfants et adolescents à l'école concernent toute la société et constituent des principes parmi les plus fondamentaux du progrès, du bien-être social et de la solidarité. C'est au nom de ces principes et de ces valeurs qu'Attac et ses militants participent aux luttes sociales en cours avec une double spécificité irremplaçable : établir le lien entre les différents projets du gouvernement et les politiques de mondialisation libérale ; éclairer la perspective d'autres mondes possibles, tant en France qu'à l'échelle planétaire.

Cette double spécificité de l'intervention d'Attac dans les luttes sociales lui permet, d'une part, d'être fidèle à sa vocation d'éducation populaire tournée vers l'action et, d'autre part, d'agir en complément à l'action des syndicats. Attac n'a pas pour ambition de " marcher sur les plates-bandes " des syndicats ou de développer une intervention de type syndical. L'originalité de l'apport d'Attac tient d'abord aux liens que l'association établit entre les différents éléments de la politique gouvernementale afin de montrer aux citoyens leur inscription dans les politiques libérales de mondialisation. Sur la question des retraites par exemple, Attac est pratiquement la seule organisation à parler du rôle de la Banque mondiale et de la Commission européenne qui ont pour projet la destruction de la solidarité permise par les régimes de retraite par répartition.

Raffarin : du thatchérisme à la française

Après avoir donné l'impression d'une certaine hésitation en début de mandat, la politique du gouvernement Raffarin vient d'opérer un tournant libéral radical. Qu'il s'agisse de la " réforme " des retraites, de la " décentralisation " et particulièrement celle de l'Education nationale, de la volonté de réduire le nombre des fonctionnaires, de l'autorisation qui vient d'être accordée à l'entrée des Hedge Funds en France, de la perspective de la baisse des impôts (pour les riches), des aménagements ou même de la possibilité de supprimer l'impôt de solidarité sur la fortune, du projet de loi sur la sécurité financière qui facilitera en réalité la spéculation et les paradis fiscaux, des prévisions de casse de l'assurance-maladie, de la préparation de l'opinion publique à la levée du moratoire européen sur les importations d'Organismes génétiquement modifiés, du plan d'austérité qui vient d'être décidé, de la libéralisation et de la privatisation des services publics, des " assouplissements " opérés à la législation pour faciliter les licenciements : tout indique désormais que le gouvernement s'est engagé dans une forme de thatchérisme à la française.Cette politique idéologique et dogmatique correspond totalement aux exigences démesurées du Medef, le syndicat des très grandes entreprises, alors que rien, dans la situation économique et sociale française, ne justifie la destruction du système de protection sociale et la poursuite acharnée de la libéralisation et de la privatisation dans de nombreux domaines. C'est même exactement l'inverse qui est nécessaire pour mettre fin aux drames sociaux que constituent le chômage, la précarité et la pauvreté, qui frappent des millions de nos concitoyens.

Le rôle d'Attac, dans cette période ou une explosion sociale est possible, est donc de démontrer la soumission à la mondialisation libérale de la politique menée par le gouvernement. Attac a pour rôle d'établir le lien entre les différentes " réformes " annoncées par le gouvernement, les luttes qu'elles suscitent, et le projet libéral d'ensemble qu'elles forment. Au-delà des luttes visant à rejeter telle ou telle " réforme ", Attac a pour rôle de construire une exigence populaire majoritaire de rejet du libéralisme mondialisé lui-même.

Le principal motif des luttes en cours est celui des retraites. On assiste cependant, selon les secteurs, à l'émergence de revendications supplémentaires, dont le symbole le plus visible est celui des enseignants contre le démantèlement et la privatisation rampante de l'école. Il est parfaitement possible, comme c'est souvent le cas lors des mobilisations sociales d'envergure, que les raisons initiales de la lutte s'élargissent à des sujets qui ne constituaient pas le motif de ces mouvements à leur origine. Attac ne peut qu'encourager une telle évolution en rendant compréhensible au plus grand nombre la cohérence entre les politiques de mondialisation libérale et les " réformes " gouvernementales actuelles. Au même moment, en effet, en Autriche, des millions de salariés font grève contre la réforme des retraites…

Quel est le fond de sauce de la pensée libérale mondialisée ? Elle aplatit le développement de la société à sa seule dimension économique selon un fonctionnement en trois étapes :

  • il faudrait épargner et orienter cette épargne vers les entreprises sous forme d'actions ;
  • les entreprises disposeraient ainsi de fonds propres leur permettant d'investir ;
  • ces investissements stimuleraient la compétitivité, l'emploi et la croissance économique.
  • L'expérience de ces trente dernières années démontre que cette " pensée ", non seulement n'a donné aucun des résultats attendus, mais qu'elle a produit en réalité l'inverse.

    Il paraît inutile, ici, de rappeler que dans un pays comme la France, au 2e ou 3e rang mondial pour la collecte d'épargne, toute augmentation de cette dernière est néfaste à l'emploi et à un développement économique soutenable :

  • l'augmentation de l'épargne signifie la baisse de la consommation alors que celle-ci est la condition d'une croissance économique soutenable ;
  • l'épargne des entreprises est utilisée principalement à des placements financiers et non à des investissements utiles ;
  • la politique d'encouragement à l'épargne menée depuis vingt ans (à coup de subventions fiscales colossales) n'a pas stimulé l'investissement et l'emploi, tout au contraire.
  • C'est au nom de ce raisonnement que les politiques libérales de mondialisation veulent :

  • réduire autant qu'il est possible les masses financières du système de protection sociale (retraite et santé principalement), car elles sont considérées comme improductives et même nuisibles à la croissance économique dont rêvent les fanatiques du marché puisqu'elles ne vont pas sur les marchés financiers (achat d'actions) ;
  • abaisser les impôts, particulièrement ceux des catégories aisées, dans l'espoir que le pouvoir d'achat ainsi dégagé sera utilisé à épargner ;
  • marchandiser tout ce qui peut l'être (AGCS) afin que les entreprises qui produisent ces marchandises soient financées par actions cotées en Bourse et non par le budget de l'Etat ;
  • mettre en concurrence les collectivités locales (" décentralisation ") afin qu'elles deviennent " compétitives " et " attractives " en organisant le dumping fiscal qui leur permettra d'attirer des entreprises et, pour ces dernières, de réduire leurs coûts, rendant ainsi prometteur l'achat de leurs actions ;- organiser les paradis fiscaux car ils permettent d'utiliser les masses financières détournées de leurs obligations fiscales au rachat de nouvelles actions.
  • Tout se tient, et il revient à Attac d'établir les liens entre ces politiques et la mondialisation libérale, liens qui n'apparaissent pas spontanément aux citoyens.

    L'intervention d'Attac serait cependant incomplète si elle ne contribuait pas à éclairer les perspectives : celles d'autres mondes possibles.

    Or c'est bien l'absence de telles perspectives qui n'a pas permis aux luttes de 1995 de se traduire en politiques alternatives antilibérales au moment de la victoire de la gauche aux élections de 1997. La situation actuelle est identique à celle de 1997 : l'opposition n'est actuellement pas en mesure d'incarner cette perspective.

    Attac n'a évidemment ni la vocation, ni les forces, d'incarner seule une perspective alternative. En revanche, Attac peut jouer un rôle décisif, comme il l'a fait jusqu'à présent, pour aborder les questions que personne ou presque ne se pose ou ne veut se poser, dans le but de provoquer un débat aujourd'hui interdit. Mieux encore, le moment semble venu, dans le cadre de la " nouvelle étape " que le Conseil d'administration d'Attac du 26 avril a décidé de franchir, de mettre un coup de pied dans la fourmilière des paresses des uns et des hypocrisies des autres. Dans quel monde voulons-nous vivre ? Allons-nous accepter cette société de plus en plus inégalitaire ?

    Toute alternative aux politiques libérales mondialisées nécessite de débattre et de trancher clairement quelques questions essentielles :

  • Est-il nécessaire et possible de faire contribuer les revenus du capital pour financer la protection sociale ?
  • Le libre-échange est-il un horizon indépassable, et des mesures de protection sont-elles souhaitables et possibles ?
  • Les Etats, dans le cadre de la mondialisation libérale, disposent-ils encore de " marges de manœuvre " pour mener des politiques économiques et sociales alternatives au libéralisme ?
  • Face à la globalisation du capital et aux stratégies des firmes transnationales, quelles réponses à l'échelon mondial ?
  • Faut-il poursuivre la politique de baisse des " prélèvements obligatoires ", ou faut-il augmenter ces dernières ?
  • Est-il possible, non pas seulement de faire baisser le chômage, mais de le supprimer totalement ?
  • Sera-t-il nécessaire de provoquer une crise européenne pour amener l'Europe à mener des politiques alternatives au libéralisme ?
  • Aucune perspective d'alternative ne sera crédible si des réponses claires et précises ne sont pas données à ces quelques questions qui ne sont pas limitatives.

    Les luttes en cours seront décisives. Une victoire sur les retraites, qui est possible, permettrait d'aborder dans une position de force les autres " réformes " prévues par le gouvernement. C'est particulièrement le cas pour le projet de destruction de l'assurance-santé, la privatisation des services publics, et pour les négociations de l'AGCS cet automne à Cancun.

    La priorité donnée par Attac à la lutte pour les retraites en ces mois de mai et juin, ne doit pas être interprétée par les adhérents et les Comités locaux comme une exclusivité. Il paraît évident que l'action pour les retraites menée par les Comités locaux d'Attac, au côté des millions de citoyens qui font grève et manifestent, facilitera les campagnes d'explication conduites sur d'autres sujets. Les autres sujets portés par Attac doivent donc être impérativement présents dans le contexte actuel. Ils contribuent, en effet, à montrer les logiques des politiques libérales et leur application, dans des domaines variés, qui ne peuvent qu'aider à une compréhension d'ensemble du libéralisme mondialisé et à renforcer la lutte particulière pour la retraite, car elle sera mieux perçue comme un élément dans un ensemble plus vaste.

    Le Bureau d'Attac remercie et félicite les milliers de militants qui se dépensent sans compter dans les luttes actuelles.

    Il appelle les adhérents à poursuivre et à amplifier cette mobilisation dans une période ou il est possible de gagner sur les retraites.Il invite les adhérents à proposer largement autour d'eux, aux citoyens en lutte, de rejoindre notre mouvement en adhérant à Attac : à chaque adhérent de réaliser une nouvelle adhésion !

    Le Bureau d'Attac demande aux adhérents de participer en masse aux différentes initiatives organisées lors du contre-sommet du G8, du 30 mai au 1er juin.

    Le Bureau d'Attac,

    Paris, le 20 mai 2003.

    Document PDF à télécharger
    L’article en PDF

    Inscrivez-vous à l'infolettre de GDS




    La revue papier

    Les Vidéos

    En voir plus…