Afghanistan : il est temps de se barrer !
Celui qui a tué nos 10 pioupious,
c’est à l’évidence Sarkozy
et une petite bandede généraux braillards, très courageux depuis
leurs bureaux, qui ont voulu faire plaisir à la
Maison blanche et précipiter ce fameux choc des
civilisations qu’ils désirent plus que tout.
Dix types qui s’étaient engagés pour servir le
France
et la liberté (version Paris Match), pourcontribuer à la stabilisation dans un contexte postcrise
(version Le Monde), pour agresser l’oumma
musulmane (version radio taliban)… En fait, tout
simplement, des jeunes gens ordinaires, qui
probablement ne savaient pas bien quoi faire dans
leur vie, n’avaient pas trop d’argent, voulaient
voyager et étaient fiers comme Artaban qu’on leur
donne un joli petit fusil pour eux tout seul. On leur
bourre le mou dans l’avion qui les amène, en
gueulant « liberté » et « barbarie » avec des
claquements de talonnettes, et hop débrouillez-vous
dans l’HindouKouch
pendant que vos
supérieurs boivent des cafés et causent aux
journalistes dans les bureaux climatisés de la base.
A l’évidence, le régime en place à Kaboul n’est
qu’un rassemblement de marionnettes
corrompues occupées à se remplir les poches au
plus vite avant l’effondrement final, prévisible d’ici
5 à 10 ans. Dans l’entourage de Karzai, lui-même
ex-consultant
pour une boîte pétrolière
américaine, on trouve un joli mélimélo
: certains
sont à peine sortis de prisons américaines pour
trafic de drogue, d’autres sont des bandits de
grands chemins que l’on baptise « seigneurs de
guerre », d’autres sont des exilés de toujours et
parlent à peine les langues locales, d’autres
encore sont de petits autocrates féodaux ou
religieux arborant barbe et turban. Que faire de
tout ceci ? Réponse : un bon coup de balai.
Le problème, c’est que dans la configuration
actuelle,
le coup de balai ne sera pas donné pardes progressistes, mais par la seule force sociale
organisée qui concurrence ce régime : les
talibans. Leur ligne politique, assumée et affichée,
est très claire : établir à nouveau une théocratie
sunnite totalitaire à base ethnique pachtoune. Une
fois les paras multinationaux partis, ce sont les
minoritaires qui vont déguster : les chiites
duodécimains (obédience majoritaire en Iran) et
septimaniens (obédience des ismaéliens,
reconnaissant l’Aga Khan comme 49ème Imam
légitime), les groupes ethniques minoritaires
(tadjiks, hazaras, ouzbeks, turkmènes, etc.), ainsi
que les couches sociales plus ou moins
sécularisées (une partie de la jeunesse, des
intellectuels, des artistes, et plus généralement les
populations des villes).
Donc, nous avons le choix entre la peste et le
choléra.
La peste, c’est un régime fantoche, purproduit impérialiste, retranché dans ses palais et
ses casernes, pompant sans vergogne le pognon
de l’aide au développement, vérolé par
l’omniprésence d’ONG inefficaces peuplées
d’expatriés souvent alcooliques et surpayés. Le
choléra, c’est le pouvoir des barbus, les femmes
enfermées, la culture nivelée au bulldozer
coranique, les mains coupées.
L’argumentation des interventionnistes, c’est
qu’on doit se résigner à la peste afin de combattre
le choléra. Mais c’est une illusion, car peste et
choléra se nourrissent mutuellement : plus les
occupants s’accrochent en Afghanistan, agaçant
les Afghans ordinaires par leur présence
ostentatoire et leurs bombardements imprécis,
plus la rhétorique anti-infidèles
et nationaliste des
talibans joue sur du velours et trouve des oreilles
complaisantes. Plus ils dépensent pour acheter la
loyauté des politiciens et des hobereaux locaux,
plus le régime apparaît comme illégitime. Plus ils
gesticulent en invoquant les droits de l’Homme et
la démocratie, plus ces notions sont discréditées,
et leurs défenseurs locaux considérées comme
des valets à la solde des occupants.
Cette alternative, il faut la refuser. Dans les
deux cas on se trahit : on bafoue soit le droit des
peuples à disposer d’eux-mêmes,
soit les valeurs
laïques et progressistes. Les bidasses contre les
barbus, c’est l’impérialisme contre le fanatisme.
En somme, les deux choses que nous détestons
le plus.
Dans cette affaire, être tacticien et viser le
moindre mal,
c’est se résigner à l’abomination.Non, il faut assumer la position minoritaire. En
Afghanistan, comme partout dans le monde
musulman, il existe une minorité qui partage nos
idées. Parmi les anciens communistes, dans la
jeunesse, chez les militantes féministes, chez les
croyants écœurés par les récupérations politiques
de la foi, nous avons des alliés naturels, qui
refusent à la fois l’occupation et la régression
théocratique. Que cette minorité représente 10%,
5% ou 1% importe peu : elle existe, elle a raison,
cela suffit. La candidature de Latif Pedram aux
élections présidentielles de 2004, par exemple,
était encourageante par son programme de
sécularisation progressive et de correction des
monstrueuses inégalités sociales. Il a fait 1%, ce
qui prouve… qu’il faut bien commencer quelque
part !
Renaud Chenu (75) et Robert Tourcoing
(PRS 75)