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Accident bis sur un chantier

On appelle au standard de l’inspection du travail. Ce sont des voix avec un fort accent étranger, sans doute du Maghreb, ou alors africain. Les standardistes ont du mal à saisir : il s’agit d’un accident du travail, une chute, dans un chantier, rue de la Michodiére. Un ouvrier serait tombé du troisième étage sur la verrière du deuxième étage… Les voix expriment de l’inquiétude « Ils l’ont enlevé », « Il est parti, mais on ne sait pas où. » « Mais ils n’ont pas appelé les secours… ». On y va. Sur le chantier, rien de visible, on nous dit d’emblée qu’il n’y a pas eu d’accident, personne n’est au courant. La verrière du deuxième étage existe bien : elle paraît lavée à grande eau récemment, on y voit de larges traces de balai. Les chefs de travaux ne sont au courant de rien.

Intrigué, le lendemain, pour bien vérifier, je profite du CISSCT, le grand rendez-vous des entreprises du chantier en matière de sécurité pour revenir. J’interroge encore en vain, j’y ironise alors sur « les accidents qui ne se voient pas, dont on ne parle pas », je mentionne même le film des frères Dardenne, « La promesse » mais personne (il y a plus de 30 chefs d’entreprises) ne voit à quoi je fais allusion. Il est vrai que ce film est particulièrement exceptionnel puisque c’est l’histoire d’un patron face à l’un de ses salariés, africain, non déclaré, sans papier, qui se blesse gravement : il l’achève et le coule dans le béton pour ne pas avoir d’ennuis avec la police. Mais c’était en Belgique, nul ne peut penser que ce soit le cas rue de la Michodière, à Paris n’est-ce pas ?

Pourtant, je le sais, nombre d’employeurs dans le bâtiment préfèrent ne pas déclarer les accidents pour ne pas payer de majorations de cotisations, ils « s’arrangent » avec le salarié pas trop blessé, ils le font rester chez lui, le paye jusqu’à guérison, forcément rapide, et basta…

N’ayant rien découvert, je quitte le chantier et me consacre aux… 4 500 autres boites de mon secteur. C’est inépuisable. Vu nos effectifs, c’est le tonneau des Danaïdes que de vouloir faire respecter l’état de droit dans les entreprises.

Huit jours s’écoulent. Il y a de nouveaux appels au standard de l’inspection du travail qui annoncent un accident…une chute, dans un chantier, rue de la Michodière ! Un homme serait tombé du troisième étage, sur une verrière qui est au deuxième. Ce ne serait pas trop grave, mais il serait à l’hôpital. Je me frotte les oreilles : ai-je des hallucinations retard ? Non, car cette fois, pompiers et police sont sur place. Et en effet, je peux identifier le salarié accidenté, c’est bien une chute, oui sur la verrière, reste à vérifier à l’hôpital où l’on me dit qu’il a été transporté, j’appelle. On m’apprend que le salarié va bien mais qu’il est en état de choc et… a perdu la mémoire. Une forme d’amnésie traumatique temporaire apparemment.

Vous devinez la suite ? Oui ? Non ? Lorsque je vérifierai le contrat du salarié, il aura été embauché et déclaré juste la veille de l’accident. En fait il avait bel et bien été blessé huit jours plus tôt. Le choc n’étant pas trop grave en apparence, l’employeur l’avait fait raccompagner chez lui en douce. Mais la perte de mémoire s’était installée et comme elle se prolongeait, incertitude aidant, pour faire soigner l’homme, ils l’avaient ré intégré… dans le circuit, c’est-à-dire, sur le registre du personnel, sur la verrière et à l’hôpital.

Quand je serai en retraite (mais pas avant qu’ils cessent de me faire un injuste procès pour entrave au CE maison de chez Guinot), j’écrirais deux, trois romans policiers, avec un inspecteur du travail pour héros. Ne me piquez pas l’idée.

Gérard Filoche

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