GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

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À quoi sert l’identité nationale ?

La lecture du livre de l’historien Gérard Noiriel, À quoi sert l’identité nationale ?, fournit des outils pour comprendre la manière dont la question de l’identité nationale est traitée dans le cadre des élections présidentielles. Dans un précédent article, il a été retracé la genèse de cette notion, de son essor lors de la Révolution française à sa consolidation au cours du XIXe siècle, comme vecteur d’émancipation, mais aussi de contournement de la lutte des classes.

Il s’agit maintenant d’étudier le retour récurrent du thème l’identité national au cours du siècle passé, et tout particulièrement dans sa seconde moitié.

L’ÉTERNEL RETOUR DE L’IDENTITÉ NATIONALE

La Première Guerre mondiale a révélé les dangers du nationalisme. Mais il fallut attendre la fin de la dramatique Seconde Guerre mondiale pour que les discours racistes et notamment antisémites soient massivement discrédités. La question de l’identité nationale ne disparaît pas pour autant : elle est posée différemment. Un consensus s’installe entre la droite gaulliste et la gauche communiste pour défendre une « certaine idée de la France », résistante et toujours porteuse d’un message universel. Le « résistancialisme » – pour reprendre le néologisme de l’historien Henri Rousso, forgé en 1987 – s’impose dès la Libération et a pour point d’orgue, en 1964, dix ans après la publication de L’histoire de Vichy de Robert Aron qui évoquait une France unanimement « combattante », le transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon.

Parallèlement, le clivage identitaire se déporte de la scène européenne vers les colonies. Face à ceux qui considèrent les blancs comme supérieurs aux autres, un mouvement anti-colonial va progressivement émerger dans une France en profonde mutation.

Dans la foulée de Mai 68, les canons de l’historiographie évoluent : les historiens ne cherchent plus à démontrer ce qu’est vraiment l’identité nationale, mais s’efforcent plutôt de comprendre comment elle s’est construite au fil des ans. Dans le même temps, des mouvements régionalistes réactivent des aspirations identitaires (en Corse, en Bretagne, etc.). La même logique se retrouve dans d’autres groupes. Ainsi, comme le souligne Gérard Noiriel, alors qu’une majorité des victimes de persécutions pendant la guerre du fait de leur origine ou de leur religion refusaient d’être définis publiquement par de tels critères, la génération suivante se lance dans des combats visant à réhabiliter les identités stigmatisées. Paradoxalement, cette résurgence des identités survient à un moment où l’internationalisation des échanges s’accroît (notamment par l’universalisation des références musicales, cinématographiques et sportives).

LE FRONT NATIONAL ET LE RETOUR DE LA DROITE NATIONALE

La droite nationaliste ayant été disqualifiée par la Seconde Guerre mondiale, pendant longtemps la question de l’identité fut plutôt portée par la gauche, dans toute sa diversité. Mais la gauche connaît de profonds bouleversements dès les années 1960, et encore davantage à partir du milieu des années 1970, au moment où la crise s’installe. Le PCF, et les formes de sociabilité collective tissées depuis les années 1930 autour ce parti, perdent de l’influence. Les syndicats voient leurs effectifs refluer, tandis que les tirages et l’influence la presse militante de gauche décroissent régulièrement, face à la concurrence déloyale des dits « grands médias ».

Le parti socialiste au pouvoir, porteur d’un réel changement de la société en 1981, délaisse progressivement la référence à la lutte des classes au profit d’une stratégie centrée sur la défense des valeurs républicaines. La profonde mue idéologique que connut le courant de Jean-Pierre Chevènement (le CERES) de la fin des années 1970 à la création du MDC, en 1991, symbolise de façon archétypale cette tendance des socialistes à troquer, dans le cadre de l’exercice du pouvoir, leur grille d’analyse emprunte de marxisme contre une vision davantage axiologique et, à bien des égards, culturaliste de la société. Dans ce contexte, les « travailleurs immigrés » disparaissent de l’espace public au profit d’une catégorisation non plus par la position sociale, mais par l’origine des personnes. Les « beurs » deviennent l’objet d’affrontements politiques.

L’émergence du Front national dans les années 1980 s’explique notamment par sa capacité à s’adapter à ce nouveau système politico-médiatique. Il ne s’agit plus, comme du temps de l’Action française, de renverser la République pour rétablir la monarchie. Le Front national défend un programme politique qui n’est pas explicitement raciste mais procède par jeux de mots ou par petites phrases qui ne font que suggérer le sens du message. Les polémiques calculées alimentent un système médiatique en pleine recomposition et ouvert à une concurrence de plus en plus féroce. Le Front national récupère ainsi une partie de la fonction « tribunicienne » du PCF en captant les suffrages de ceux qui cherchent des moyens radicaux pour exprimer leur rejet d’une société qui ne leur fait plus de place. Parallèlement, les premiers débats sur le voile islamique ou les attentats de l’été 1995 alimentent le discours du Front national sur les dangers du « communautarisme » et « l’islamisation de la France ».

En octobre 1989, en marge de « l’affaire des foulards de Creil », Bruno Mégret, alors délégué général du FN, ne suscite guère l’émotion lorsqu’il affirme, dans les colonnes du Quotidien de Paris : « Est-ce la France qui doit adapter ses principes aux immigrés ou les immigrés qui doivent adapter leurs coutumes aux règles de notre pays ? Vous imaginez notre réponse »...

LA DROITE ET L’IDENTITÉ NATIONALE

De son côté, la droite républicaine va s’efforcer de séduire l’électorat frontiste en reprenant le thème de l’identité nationale. Dans une interview à Valeurs actuelles en 1985, l’ancien président de la République, Valéry Giscard d’Estaing, affirme que « l’immigration constitue une menace pour l’identité française ». Cette même année, Le Figaro Magazine fait sa une sur le thème « Serons-nous encore français dans trente ans ? ». En 1991, Jacques Chirac, alors président du RPR s’illustre par une intervention raciste sur « le bruit et l’odeur » des étrangers. Lorsque Nicolas Sarkozy débarque sur la scène politique, il reprend donc des thèmes labourés depuis déjà plusieurs années.

La création d’un ministère de l’Immigration, de l’Intégration et de l’Identité nationale, en mai 2007, parachève cette approche de la question qui revient à faire des immigrés les perturbateurs de l’identité nationale. L’analyse des discours de campagne du candidat Sarkozy permet de révéler une nouvelle approche nationaliste. L’identité française est présentée comme un sentiment, une « terre charnelle », mais aussi le fruit de valeurs républicaines, qui permettent d’assurer une certaine continuité temporelle. Cette définition vise à combiner d’une certaine manière l’héritage de Barrès et de Jaurès. Les apports de populations étrangères dans l’histoire du pays sont pour partie reconnus, mais c’est aussitôt pour présenter comme une évidence que l’intégration des immigrés d’aujourd’hui est un échec. Ces immigrés sont présentés au travers de deux figures, le clandestin et le communautariste. Comme avec le Front national, la vérité du discours ne réside pas seulement dans les formulations explicites, mais aussi dans sa réception au sein du public qu’il vise, et donc des sous-entendus.

2017 : ROMAN NATIONAL ET PATRIOTISME

Paru en 2007, le livre de Gérard Noiriel présente l’intérêt majeur de montrer que la légitimation du discours d’extrême droite sur l’identité nationale n’est pas récente, mais qu’elle s’inscrit dans un mouvement profond de résurgence de la droite nationale. Ce livre gagnerait à être prolongé pour intégrer les dernières évolutions de la décennie écoulée. Il apparaît en effet que le débat actuel posé dans le cadre des présidentielles plonge ses racines dans l’histoire de ce thème. L’éloge du « roman national » par François Fillon vise à réactiver une identité conservatrice telle qu’elle fut formulée à la fin du XIXe siècle. Bruno Retailleau, fidèle soutien de François Fillon et ancien lieutenant de Philippe de Villiers, écrit régulièrement pour pourfendre le multiculturalisme et la diversité face à la « tradition séculaire d’unité ». Le rôle de la droite serait « d’affirmer une certaine verticalité du pouvoir, le rétablissement de nos cadres collectifs ». Dans cette perspective, la religion dépasse le cadre culturel pour être un des ciments de l’univers culturel du pays. Cette conception est une réactivation de la pensée de Maurice Barrès.

Le FN y adhère également en y ajoutant un clivage entre les « patriotes » et les « mondialistes ». C’est une façon de détourner le patriotisme de Jaurès en incluant les délaissés de la mondialisation dans un repli identitaire. En ce début de XXIe siècle, la résurgence de la droite nationale n’est donc pas un épiphénomène, c’est au contraire un mouvement puissant, dont l’histoire nous apprend à quel point il peut être dangereux.

Références : Gérard NOIRIEL, À quoi sert « l’identité nationale » ?, Éditions Agone, collection « Passé & présent », Marseille, 2007

Première partie de cet article : À quoi sert l’identité nationale ? 1/2

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