52% des électeurs reprochent au PS de ne pas être assez à gauche
On ne peut pas dire que les élections européennes du 7 juin se soient conclues par une victoire
de l’UMP puisque, parti hégémonique au gouvernement, il ne rassemble que 11,2% des
inscrits. En revanche, on doit dire que le PS a subi une lourde défaite qui s’apparente aux
14 % obtenus par la liste de Michel Rocard en 1994.
Le phénomène fondamental est celui de l’abstention qui a surtout touché la gauche : le 7 juin,
le PS n’a rassemblé que le tiers de son électorat, la droite en a quand même rassemblé la moitié.
Et, pourtant, on est loin de la « mort du PS » que certains annoncent à grands cris,
croyant ainsi la précipiter.
Au lieu d’enterrer le PS, il faut rectifier son programmeet sa stratégie parce que, tels qu’ils sont, ils conduisent
la majorité des électeurs socialistes à être excédés
devant le vide des campagnes électorales du PS. 52 % des électeurs
socialistes reprochent au PS de ne pas être assez à gauche :
ne pouvant pas formuler en positif des propositions concrètes
pour ancrer le PS à gauche, militants et électeurs expriment souvent
ce mécontentement en dénonçant la « cacophonie » des
dirigeants du PS.
Comment faire ?
Certains dirigeants socialistes croient trouver la solution dans la
tarte à la crème de la « refondation » ou de la « rénovation ».
Mais, ce sont là des idées creuses, vides de contenu, qui sont
utilisées pour éviter d’aborder les erreurs de programme et de
stratégie. « Refondation » et « rénovation » sont donc les formules
qu’utilisent les dirigeants sociaux-libéraux croyant ainsi
remobiliser les électeurs socialistes tout en gardant l’orientation
sociale-libérale.
Ce n’est pas d’aujourd’hui : pour approfondir la rénovation, les
sociaux-libéraux italiens sont allés jusqu’à fusionner avec les
« démocrates-chrétiens ». C’est une façon de fortement ancrer
dans le libéralisme le principal parti de la gauche, ce qui ne le
transforme pourtant pas en parti de la droite parce que la place
est prise à droite alors qu’elle est libre à gauche mais qui le
conduit (et la gauche avec lui) à s’effondrer électoralement.
Cet effondrement du PD en Italie résulte de deux causes (et non
d’une seule) : d’une part, la consolidation de l’ancrage droitier
de sa majorité et, d’autre part, la réduction de son pluralisme en
raison d’une fusion qui rend plus difficile la cohabitation avec
les courants de l’ancrage à gauche. Ces deux facteurs empêchent,
en effet, une partie importante des électeurs socialistes de
se sentir représentés par le PD, les uns parce qu’ils ne le trouvent
pas assez ancré à gauche, les autres parce qu’ils sont trop
hésitants sur le programme nécessaire à la gauche pour choisir
un parti trop monolithique.
Unité de la gauche et ancrage à gauche
En revanche, l’idée de la « maison commune de la gauche »,
défendue par Martine Aubry, est un retour à la stratégie d’unité
de la gauche (de « front unique ouvrier ») ce que les militants
socialistes appellent « renouer avec la stratégie d’Epinay » en
référence au congrès de 1971. L’unité de la gauche est une étape
nécessaire vers la constitution d’un parti unifié de la gauche et
donc un pas en avant vers l’instauration de la démocratie dans
la gauche.
Ainsi, l’élaboration d’un programme commun de la gauche
oblige à comparer les arguments favorables à un ancrage à
gauche et ceux favorables à un ancrage social-libéral. Or, la
confrontation démocratique favorise un programme de démocratie
sociale. C’est pourquoi les sociaux-libéraux refusent
l’union de la gauche ou n’iront qu’à reculons.
Unité de la gauche ou maison commune de la gauche favorisent
l’ancrage à gauche. Refondation et rénovation sont le rideau de
fumée que lui oppose le social-libéralisme. L’idée de la « maison
commune de la gauche » pousse le PS à gauche et fait obstacle
à l’idée d’alliance avec la droite (Modem de Bayrou ou
autres).
Le 7 juin est la démonstration de l’échec du social-libéralisme
et de la troisième voie. Mais, est-ce que cette démonstration
sera suffisante pour pousser la gauche à s’unir ?
L’unité de la gauche et l’ancrage à gauche sont les deux facteurs
de la mobilisation du peuple de gauche et de renforcement de la
gauche. C’est de ce point de vue qu’on peut tirer les leçons de
ces élections européennes.
Le PS, parti pluraliste,
parti de gauche par défaut
En l’absence d’union des partis de gauche autour d’un même
programme, la mobilisation de la masse des électeurs de gauche
profite principalement aux organisations de gauche qui ressemblent
le plus à cette unité, c’est-à-dire qui sont les plus pluralistes.
Cette mobilisation en leur faveur varie, cependant, en
fonction des réponses qu’ils apportent aux revendications,
c’est-à-dire en fonction de leur ancrage à gauche.
L’électorat socialiste constitue en France 60 % de l’électorat de
la gauche parce que le PS est le « parti de gauche par défaut ».
La masse des électeurs de gauche ne comprend pas l’éclatement
de la gauche en plusieurs partis. Ceux qui n’ont pas d’exigence
programmatique précise et détaillée votent pour le PS parce que
son caractère pluraliste leur évite un choix programmatique
qu’ils préfèrent confier aux responsables de la gauche.
Lorsqu’il advient que ces électeurs sont porteurs d’une revendication
particulière, ils attendent de leur parti qu’il y réponde.
Mais puisque, depuis longtemps, le PS ne répond pas de façon
satisfaisante aux revendications sociales portées par ses électeurs,
alors son électorat se démobilise. C’est ce qui lui arrive
depuis 1983 et notamment depuis 1993, malgré une embellie en
1997. Cette fracture électorale s’approfondit avec la reproduction
de ses causes, mais elle ne se traduit que très marginalement
par un déplacement d’une partie de l’électorat socialiste
vers d’autres partis de gauche.
Position de retrait ou vote refuge
En effet, faute d’en trouver un qui soit suffisamment pluraliste,
ces électeurs socialistes se retirent dans l’abstention.
Ils reviendront voter socialiste lors du retour du PS à l’ancrage
à gauche ou, à l’occasion, lors d’élections locales par exemple.
Néanmoins, cette étape de l’abstention pourrait, pour certains,
n’être qu’une étape d’une transition, provisoire ou durable, vers
un autre parti de gauche : mais ce trajet est rare. En effet, plutôt
que de s’engager en faveur d’un autre parti plus monolithique,
pour ces électeurs socialistes déçus, il est plus facile de se retirer
dans l’abstention.
Éventuellement, une partie peut se réfugier dans le vote pour
une organisation qui paraît suffisamment pluraliste pour que, lui
faire provisoirement confiance ne soit pas vécu comme un
enfermement dans une organisation monolithique.
C’est la démarche choisie par la partie de l’électorat socialiste
qui a préféré le vote pour « Europe Ecologie » plutôt que l’abstention.
Les Verts, bien que non monolithiques, mais dont la
crédibilité est limitée à l’écologie, ne peuvent donc pas jouer le
rôle de « parti de gauche par défaut ». Mais l’alliance qui
constitue « Europe Ecologie » allant de José Bové à Daniel
Cohn-Bendit en passant par Eva Joly (soit de Besancenot à
DSK), est apparue suffisamment pluraliste pour bénéficier d’un
vote refuge qui a assuré son succès.
L’échec de la gauche de la gauche
Le doute sur l’ancrage à gauche du PS a donc conduit les deux
tiers de son électorat, excédés, à se réfugier dans l’abstention et
chez « Europe Ecologie ». Mais pourquoi, ce doute n’a-t-il alimenté
que très marginalement le vote pour la « gauche de la
gauche » (« Front de gauche » et NPA essentiellement), alors
que ceux-ci répondaient, à leur manière il est vrai, à l’attente
d’une majorité de l’électorat socialiste ?
Cet échec de la gauche de la gauche s’explique parce que ces
deux organisations ne sont pas pluralistes. Les électeurs socialistes
qui se reconnaissent dans l’essentiel de leur campagne (la
défense argumentée de l’Europe sociale), ne maîtrisent pas,
pour autant, la totalité de leur programme : ils ne s’y sentent
donc pas (encore ?) chez eux. C’est pourquoi ils ont cherché
refuge ailleurs.
Des vases communicants
Toutefois, ces deux organisations n’ont pas la même image. Il
est ainsi remarquable que, en début de campagne, les sondages
accordaient 11 % des voix au NPA et 3 % au « Front de
gauche » alors que, au terme de la campagne, le NPA tombe à
4,8 % et le « Front de gauche » se hisse à 6,5 %. Un phénomène
de vase communicants a bénéficié au « Front de Gauche ».
Pourquoi ? Parce qu’il est perçu comme davantage pluraliste. Il
est, en effet, composé du PCF, du Parti de Gauche de Jean-Luc
Mélenchon et de la Gauche Unitaire de Christian Picquet.
Ce pluralisme est très réduit et ne s’apparente pas à l’unité de
toute la gauche : il n’a pas permis d’attirer beaucoup d’électeurs
socialistes mécontents du PS. Mais il est apparu comme plus
ouvert que le monolithisme et le sectarisme de la direction du
NPA qui a obstinément refusé de s’intégrer dans ce « Front de
Gauche ». Elle en a payé les frais.
Alliance ou ralliement ?
En bénéficiant de voix promises au NPA, le «Front de Gauche »
a retrouvé les voix obtenues par le PCF aux européennes de
2004. Il n’a donc pas réussi la percée que ses dirigeants espéraient.
Pour tenter encore de la réussir, le « Front de Gauche »
devrait proposer à toutes les composantes de la gauche de se
rassembler, à égalité de droits, pour constituer une unité de la
gauche autour d’un programme commun. Mais, au lieu de proposer
une alliance, il propose un ralliement au «Front de
Gauche ».
Cet appel au ralliement est la conséquence du choix fait, il y a
huit décennies, par les fondateurs du Parti Communiste et, il y
a huit mois, par le fondateur du Parti de Gauche de constituer
un nouveau parti sur un programme d’ancrage à gauche, mais
aussi sur le refus de cohabiter avec les partisans d’un programme
social-libéral. Ces fondateurs ont renoncé à construire le
parti unifié de toute la gauche car ils estiment que l’ancrage à
gauche ne peut pas l’emporter sur le social-libéralisme.
Cet appel au ralliement s’adresse à l’aile gauche du PS et au
NPA, essentiellement. C’est une tentative de division du PS et
donc de la gauche. C’est un appel à laisser l’électorat socialiste
sous l’influence du social-libéralisme, sans même en distraire
une partie, comme le montrent les résultats du 7 juin pour le
« Front de gauche ». L’aile gauche du PS ne va pas commettre
la même erreur. Cette tentative est donc vouée à l’échec.
L’unité de la gauche ne se fera pas autour d’un de ses partis, qui
plus est, minoritaire comme le PCF. L’échec de la « gauche plurielle
», qui s’était constituée autour du PS et non autour d’un
programme commun, est là pour nous le rappeler.
L’unité de la gauche, démarche démocratique
La constitution d’une Union de la gauche au travers d’une
confrontation des différents programmes en présence permettra
d’aboutir à un accord programmatique, à valider par un référendum
mobilisant les adhérents des partis concernés. Elle profitera
à tous. Les électeurs de gauche abstentionnistes
reprendront confiance et la majorité politique que possède la
gauche deviendra une majorité électorale.
En effet, la forme pluraliste du débat démocratique crée les
conditions les plus favorables au programme de la démocratie
sociale. Cette stratégie assurera l’ancrage à gauche du gouvernement
qui en sera issu. Cet acquis appellera la formation d’un
parti unifié de la gauche qui conjuguera, à la fois, la victoire de
l’unité de toute la gauche et la défaite du social-libéralisme.
C’est pourquoi les sociaux-libéraux repoussent perpétuellement
la réalisation de cette unité de la gauche. Pourtant, il leur est difficile
de s’attaquer frontalement à la stratégie du congrès socialiste
de 71 à Epinay, en raison de la majorité politique dont
dispose la gauche.
D’ailleurs, les défaites de la gauche, dues à l’orientation imposée
par les sociaux-libéraux, les confortent en laissant croire
que la gauche a besoin d’une partie de la droite… qui exige toujours
des concessions supplémentaires au libéralisme. L’échec
du MoDem de Bayrou est donc une bonne nouvelle : la gauche
n’a pas besoin de lui.
Répétition des leçons de l’histoire
La gauche a déjà connu des situations de crise : en 1914,
lorsque les députés socialistes ont voté les crédits de guerre ; en
1940, lorsque plus de la moitié des parlementaires socialistes
ont voté les pleins pouvoirs à Pétain ; en 1958, lorsque la SFIO
appelle à soutenir de Gaulle et la Constitution de la
Ve République ; en 1983, lorsque le gouvernement adopte le
plan néo-libéral de Delors et, en 2005, lorsque le PS appelle à
voter « oui » au libéralisme européen.
Chacune de ces descentes aux enfers s’est poursuivie jusqu’à
l’explosion sociale qui a contraint la vieille génération dirigeante
de la gauche à céder la place à une nouvelle équipe chargée
de répondre aux exigences des mobilisations sociales.
Mais les réponses n’ont pas toujours été celles qu’il fallait : la
révolution d’Octobre et la division du mouvement ouvrier, la
Libération et la politique de 3e force, Mai 68 et l’Union de la
gauche, Novembre-Décembre 95 et la Gauche plurielle. C’est
cette réponse que nous devons apporter aujourd’hui, grâce au
niveau des exigences populaires, exprimé lors des mobilisations
sociales de janvier et mars, qui sont sans équivalent historique.
Unité ou uniformité ?
Cependant, si le congrès de Reims de 2008 a montré la crise de
la génération Jospin (les quadras et quinquas qui dirigent le PS
depuis la présidentielle de 1995), il a aussi montré que sa pseudo-
cohérence politique, baignée dans le social-libéralisme
depuis 1983, la rendait incapable de s’engager dans la construction
de l’unité de la gauche autour d’un programme commun.
Pour tenter de se survivre, cette génération Jospin se saisit de
quelques bouées : « refondation », « rénovation » et surtout
« primaires ». C’est-à-dire « primaires au lieu de programme ».
Refondation, rénovation, primaires, autant de paquets-cadeaux
possibles pour faire sortir le candidat providentiel de la boîte.
C’est la tactique de Sarkozy pour unifier la droite… autour d’un
candidat dont le programme est une surprise que la base découvrira
avec la campagne. C’est dessaisir ses partisans des choix
programmatiques et se couler dans le moule bonapartiste de la
Ve République : un général et ses troupes.
Si la gauche utilisait cette méthode, elle choisirait l’uniforme et
non l’unité. Elle se rendrait prisonnière des médias comme cela
s’est passé pour la candidature de Ségolène Royal : portée au
pinacle avant sa désignation, descendue en flammes par la suite
et faisant campagne du 19 novembre au 11 février sans programme.
Trois mois au cours desquels son score passe de 54 %
à 47 %.
Démocratie ou bonapartisme ?
Le ralliement à un candidat, auquel on donne carte blanche, ne
doit pas être le choix de la gauche, pas davantage que le ralliement
à un de ses partis. La démocratie c’est le débat sur le programme
qui permet de souder tous les militants autour du
programme approuvé par référendum auprès des adhérents des
partis.
Souvenons-nous de la participation au débat sur le TCE en
2005. C’était un signe de politisation et une promesse de mobilisation.
C’est ce qu’il faut réaliser pour le programme de la
gauche. Après quoi, le choix de la candidature sera celui d’un
porte-parole national entouré de 577 candidatures qui seront
autant de porte-parole dans chacune des 577 circonscriptions.
Pierre Ruscassie