GAUCHE DÉMOCRATIQUE & SOCIALE

International – Europe

1905, le Tsar mitraille la foule

Le 9 janvier 1905 à Saint-Petersbourg, des centaines de milliers de manifestants se dirigeaient vers le Palais d'hiver pour y remettre une « supplique » au tsar.

Il ne s'agissait pas de révolution mais de pouvoir manger et vivre. Comme souvent, ce fut le début d'une révolution historique. Elle allait durer toute une année et préparer un siécle particulier à la Russie et au monde. En 2005, le fait qu'un pope dirigeait un tel mouvement suscite réflexion.

Le tsarisme totalitaire de 1904 entrait en crise grave : menacé par ses défaites militaires à l'est face au Japon, secoué par les vagues de mécontentement de la paysannerie, travaillé par l'agitation ouvriére, confronté à des cercles d'opposition de la bourgeoisie naissante, il s'avérait incapable de moderniser l'empire russe, de satisfaire les revendications élémentaires du peuple.

Dans la décennie précédant 1905, le mouvement social-démocrate russe s'était organisé, developpé, et des cercles d'activistes fourmillaient, en dépit de leurs divisions, et d'une féroce répression de la police tsariste. Comme quoi, même s'il n'en est pas conscient, le « réformisme de gauche » peut aller plus loin que ce qu'il veut au départ.

D'aucuns en ont donc conclu que l'explosion révolutionnaire qui allait durer toute l'année de 1905, jusqu'à l'écrasement sous la mitraille, de l'insurrection de Moscou, était l'oeuvre préméditée des « bolcheviks », présentés comme des putschistes sectaires.

Des historiens et sociologues ont décrit là des « plans » soigneusement organisés, préparés, par une subversion mure et dangereuse. C'est sans doute pour cela, et à cause du sinistre bilan du stalinisme, si personne ne célèbre aujourd'hui... le centenaire de la révolution pourtant populaire de 1905.

Pourtant il n'y avait nul complot, nulle machination dasn ce vaste mouvement de masse spontané. Pendant des semaines fiévreuses, affamés, plongés dans la misére, les ouvriers de Poutilov, l'usine la plus moderne de St Petersbourg, s'étaient déchirés pour savoir ce qu'il leur convenait de faire face au tsar. Une partie était séduite par le discours du pope Gapone, un personnage étrange, moitié agent provocateur, moitié idéaliste, et qui « chargé de mission auprés des ouvriers par le gouvernement, était en train d'échapper à ses maitres ». (Marcel Liebemann, tome 1 p 114). Ce n'était pas le dernier curé, se portant à la tête d'un mouvement qui allait se trouver débordé socialement.

L'appel à une gréve massive, déplaisait aux socialistes, méfiants : comment soutenir une manifestation qui tenait à la fois de la procession religieuse et de la « supplique au tsar » mais qui visiblement, emporta la participation d'une foule sans précédent, puisqu'au moins 300 000 personnes s'y rassemblérent ? Le texte de la « supplique » adressée au tsar était révérencieux, « nous ne pouvons plus supporter cette misére », «plutôt mourir que de supporter une existence aussi misérable ». Dans les assemblées préparatoires, les quelques sociaux-démocrates qui cherchérent à s'y exprimer, furent souvent isolés, hués. Il faut dire qu'au total, en Russie, il y avait moins de 8000 socialistes, la majorité des cadres dirigeants mencheviks et bolcheviks, étaient en exil ou en prison, les scissions l'emportaient sur la capacité à influer pratiquement la masse des ouvriers.

Sociologiquement, les ouvriers étaient en totale infériorité numérique par rapport à la paysannerie, selon un rapport de un à cent.

La rupture entre bolcheviks et mencheviks, était toute fraiche dans la capitale du tsar, davantge due à des clivages locaux qu'aux divergences théoriques sur les questions d'organisation du congres de 1903. (“Que faire ?”) Les mencheviks finirent par eppeler à la manifestation entrainés par le « gaponisme », les bolcheviques, eux, hésitaient : ils appelérent puis se rétracterent choisissant de former un cortége et de ne pas se fondre dans le flot des manifestants. Ils furent ainsi une quinzaine à défiler à part sous une banderole, le 9 janvier, à St Petersbourg, alors que se déclenchait une révolution qui allait elle-même être une « répétition générale » de l'autre révolution, celle de février 1917. C'était bel et bien un grand mouvement spontané, populaire, une lame de fond, qui venait ébranler la dictature tsariste, obscurantiste et corrompue. Gapone, chef d'un jour, pope qui devint « socialiste » ensuite, sans la moindre théroie, fut vite dépassé, lorsque le tsar choisit de noyer dans le sang ceux qui venaient le « supplier ». Mais ce massacre cynique et brutal, creusa un fossé définitif entre le régime tsariste et ses peuples. Dés le lendemain, l'onde de choc étendit les gréves, la révolution se développait.

« Le caractére primitif des conceptions socialistes de certains dirigeants du mouvement et ce qu'il y a de vivace dans la foi naïve dans le tsar de certains élements de la classe ouvriére, augmentait plutôt que de la diminuer, l'importance de l'instinct révolutionnaire prolétarien qui se frayait un chemin. » écrivit Lénine, qui, pas plus que son parti, d'ailleurs, n'avait su percevoir la dynamique des évenements. Les soviets naquirent spontanément, les bolcheviques s'y opposérent - avant que Léon Trotski lui-même ne devint le président élu du soviet de St Petersbourg - ce fut le début de grands débats sur les rapports entre un Parti socialiste et la masse, sur la façon de s'organiser face à la répression et d'éviter de subir chaque fois le sort de la « Commune » de Paris.

La barbarie tsariste laissa 12 ans plus tard la place à la révolution socialiste. La premiére. Puis la bureaucratie stalinienne l'emporta tandis que le nazisme déferlait. Il devint minuit dans le siécle : ses pires heures ne vinrent pas des révolutions mais des contre-révolutions.

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